Prix du Jury de la Quadriennale de Prague 2023

Gut City Punch est une installation entièrement sculptée dans le sable, qui traite de l’urbanisation massive et des entrailles de nos sols. Dans l’espace intérieur des anciens abattoirs de la ville de Prague, soixante tonnes de sable provenant de quelques kilomètres plus haut le long de la Vltava, sont acheminés, compactés et sculptés à l’image de la ville en chantier permanent. A l’issue de l’exposition, le sable repartira comme il est venu jusqu’à son lieu de provenance, faisant du Pavillon Français un modèle de production qui se fonde sur l’emprunt de la matière en circuit-court. Dans le cadre d’une foire internationale dédiée à la scénographie, le projet tente de formuler une hypothèse esthétique qui soit viable et durable, dans une tension entre un geste maximaliste au niveau de son impact visuel et un geste minimaliste au niveau de son impact écologique.

Sous un plafond de LEDs et à la manière d’un vivarium ou d’un diorama de la catastrophe, Gut City Punch offre au public le spectacle d’une ville déplacée à l’intérieur de l’architecture et éventrée par l’urbanisation. Dans ce qui ressemble à un glissement de terrain, un sinkhole ou un chantier entièrement sculpté en sable, différentes canalisations souterraines de sable émergent de la matière, tels les boyaux post-industriels qui habitent le ventre de la terre. Soudainement, le public se retrouve sous la surface du sol abattu et en prise avec ces immenses entrailles qui rendent nos vies quotidiennes performantes, connectées, électrisables, potables et directement évacuables. Par ce geste d’architecture renversée, on assiste à un état paradoxal et temporaire de la matière. Au cœur du dispositif, le choix du sable n’est pas neutre. Il touche à sa plasticité ainsi qu’à son attractivité massive sur le marché mondial : la rareté de cette matière aujourd’hui en voie d’extinction est à la mesure de la croissance exponentielle des immeubles, des autoroutes et des plages artificielles construites en béton non-recyclable qui conquièrent l’espace des terres, des mers et des ciels. A la fois complice et abolitionniste du système, Gut City Punch s’intéresse au phénomène de la destruction pour le reconstruire et celui à la construction pour le déconstruire. Car l’installation pourrait être tout autant le mirage d’un modèle devenu malade et obsolète, que l’éloge des débris avec lesquelles recomposer des formes potentiellement plus radicales de vie, de ville, d’économie, d’écologie, jusqu’à nos façons de construire les théâtres, les scènes, les scénographies, les spectacles et les récits…

Une composition sonore créée par l’artiste et musicien français Joseph Schiano di Lombo accompagne l’installation pour faire entendre le chant d’amour brisé de la ville. Avec ce projet, Théo Mercier et Céline Peychet proposent un environnement complexe, à la fois chaotique et érotique, terrifiant et sublime, artificiel et organique, dans lequel l’expérience de focalisation sur l’infiniment petit et l’infiniment grand tiendrait aussi bien du voyage artificiel que du délire immobilier. Par la mise en échec de l’humain, le décentrement de la vision, l’absence d’histoire au sens classique et surtout avec une attention toute particulière apportée à la matérialité de la scène et de l’espace, Gut City Punch déploie des formes dramaturgiques depuis le sable, un endroit où la voix et l’accès à la scène est donné au paysage et à ses profondeurs.