Il suffit parfois d’un petit accident. Une hésitation de trop, une pensée qui nous retient plus longtemps que d’habitude. Parfois, au contraire, tout coule trop facilement et nous nous glissons trop aisément là où nous étions censés arriver. Dans les deux cas, nous manquons le moment ; arrivés trop tôt ou trop tard, nous embrouillons le cours des choses. Soudain, alors le destin trébuche: tout se passe comme personne ne l’aurait imaginé. Les rôles se brouillent, les personnages de notre vie s’échangent leurs masques, les événements s’empilent les uns sur les autres. Nous sommes égarés dans le temps, comme s’il s’agissait d’une ville étrangère.
Théo Mercier étend à la Terre entière cette expérience quotidienne si commune. Maintenant, c’est notre planète qui semble avoir manqué le rendez-vous avec sa propre histoire et son propre destin. Les conséquences sont impressionnantes. L’antiquité et le contemporain s’échangent leurs places, et l’un tente de prendre le pouvoir sur l’autre, d’en abuser, de le prendre en otage. Mais une planète où tout ne cesse de rater son temps déclenche également une sorte de trouble cosmique. Si les choses tentent de s’affranchir de l’empire des humains, les voitures s’écrasent pourtant au sol comme des oiseaux foudroyés, et des pierres s’abattent sur la ville. Dans ce menuet de fléaux qui s’acharnent sur la Terre, se cache en réalité un inédit rituel de libération. Ce que nous vivons n’est pas le temps de la fin : c’est le moment où le passé et le futur se perdent l’un dans l’autre et tentent d’inventer un monde nouveau.
Emanuele Coccia